LES SOURCES D’EAU CHAUDE SAUVAGES DANS LES PYRÉNÉES-ORIENTALES

La présence de sources d’eau chaude est légion dans les Pyrénées et particulièrement dans les Pyrénées-Orientales. Elles se retrouvent en grande concentration le long des vallées de la Têt et du Tech. Mais, ces sources d’eau sulfureuses sont pour la plupart exploitées. Malgré tout, il reste quelques endroits sauvages où l’eau chaude continue de jaillir des lèvres de la terre nourricière dans des paysages préservés. Il est même possible de s’y baigner gratuitement.

Les sources d'eau chaude sauvages dans les Pyrénées-Orientales
Les sources d'eau chaude sauvages dans les Pyrénées-Orientales

AU SOMMAIRE :

Un peu d'histoire

Les Pyrénées-Orientales ont toujours été extrêmement riches en sources sulfureuses. Mais leur exploitation se faisait encore à petite échelle de 1800 à 1850. A cette époque les communes du département n’étaient pas très actives dans la réalisation de travaux thermaux. Alors qu’elles le furent dans les Hautes et Basse-Pyrénées où des stations se développèrent tôt. Effectivement, l’administration centrale et locale étaient toujours prêt à soutenir les municipalités dans leurs projets en faisant intervenir des « architectes thermaux ».

Dans les Pyrénées-Orientales, l’exploitation des sources était au contraire laissée entièrement à l’initiative privée. Elle n’en était qu’à ses balbutiements traduits par de modestes bâtiments, la plupart du temps, sans caractère. Il n’est pas rare que des bains ne soient que des maisons particulières. Le succès de ce type de villégiature était encore trop réduit pour attirer les investisseurs, ce qui impacta la fréquentation des sources. Des milliers de visiteurs préféraient ainsi affluer chaque été dans les Hautes et Basses-Pyrénées où l’architecture était presque un jeu pour de de grandes stations (Luchon, Cauterets, Saint-Sauveur…). Il en allait de leur renommée. Ce n’est qu’après 1850 que le secteur privé va devenir prépondérant.

Les Pyrénées-Orientales disposent aussi de nombreuses vallées encaissées (Têt, Tech…). D’innombrables stations ont du s’installer dans des gorges étroites en suivant le même mode d’organisation. Les quelques corps de bâtiments de nombreuses thermes vont ainsi regroupés les bains au rez-de-chaussée ou en sous-sol et les logements en étages. Il en est ainsi à Molitg, Olette, Graus d’Olette, Thuès, Canaveilles… Ce qui peut expliquer le caractère des bâtisses étroites et toutes en hauteur.

Malgré une vie thermale riche et propre au département, les Pyrénées-Orientales regorgent aussi et encore de lieux magiques vierges de toute exploitation thermale où l’homme peut profiter des vertus invisibles des eaux chaudes et sulfureuses. Je vous propose d’en découvrir 4, toutes situées dans la vallée de la Têt.

1. Les trois bassins d'eau chaude de Thuès-entre-Valls

De passage à Font-Romeu, je pars en direction (à pied) de Thuès-entre-Valls. Il n’y a nul chemin direct entre ces deux villages. L’étroite vallée m’oblige à emprunter les balcons de la Têt, rallongeant considérablement mon trek. Après une descente rude débouchant sur Thuès-entre-Valls, je dois franchir la voie ferrée du petit train jaune pour gagner le sentier menant aux trois bassins. Pour les personnes désirant venir en voiture, le village dispose d’un parking payant et d’un parking gratuit (une vingtaine de places). C’est ici que s’effectue le départ vers les sources. Un passage à niveau permet ensuite aux piétons de franchir la voie ferrée en toute sécurité (le troisième rail est électrifié).

Après une bonne marche à travers le chemin Las Ayguès Calentes (les Eaux Chaudes) repérable sur les cartes IGN, les trois bassins finissent par se dévoiler. L’itinéraire exacte peut se trouver sur internet.

Je constate que l’aménagement de ces trois bassins d’eau chaude est relativement développé. J’observe dans un premier temps un mur de pierres maçonnées qui dessine entièrement le contour de vasques.

Puis je reste hypnotisé un court moment par cette eau qui reflète différentes couleurs provenant du fond de la vasque me faisant croire à la pose d’un carrelage d’exception. Il s’agit en fait de micro-organismes (cyanobactéries) qui se sont développés sur des pierres de nature différentes et soigneusement disposées au sol. Le sol n’est donc pas tout à fait naturel mais fait son effet.

Chaque vasque est donc comme une grosse baignoire dont l’eau est malgré tout renouvelée régulièrement.

La température du dernier bassin est en dessous de 40 degrés ce qui est particulièrement confortable. Peu profond, il peut accueillir jusqu’à 6 personnes. Le deuxième bassin est à 42 degrés et le premier bassin où se situe l’émergence (le plus petit) est beaucoup plus chaud.

Trois bassins de Thuès avec la fôret

2. Le canyon en eaux chaudes de Thuès-les-Bains

Pour accéder au canyon, je continue à suivre le chemin Las Ayguès Calentes jusqu’au torrent de la Fajet. Celui-ci m’oblige à descendre vers l’enceinte (Attention, cette enceinte est strictement interdite pour les voitures (et non aux piétons)) de l’ancien établissement thermal de Thuès reconverti en un établissement médico-social. À noter qu’il est possible de rejoindre directement l’enceinte en partant du parking de Thuès-entre-Valls. Il suffit de longer le sentier situé rive gauche de la rivière du Têt. Puis à partir de l’enceinte, je remonte vers la gare du petit train jaune.

J’atteins un passage à niveau (présence de portillon) où je peux traverser les rails en toute sécurité (le troisième rail est électrifié). Une fois passé le portillon, je prends à droite en suivant un sentier tout tracé pendant une bonne dizaine de minutes jusqu’au canyon d’eau chaude. Sur le chemin se trouve plusieurs captages et un tuyau noir acheminant l’eau chaude. 

Pour accéder enfin au canyon, je désescalade une paroi rocheuse abrupte où un arbre a pris racine. Une source chaude ne choisit pas son point d’émergence en fonction d’une situation géographique avantageuse, particulièrement accessible. Tel est le cas ici, surtout lorsqu’on parle de canyon en eaux chaudes, unique en Europe.

Une fois dans le canyon, j’observe une première chute d’eau chaude voir brûlante (température proche de 70 degrés) qui s’abat dans une grande vasque.

Un petit renfoncement au niveau de la chute d’eau permet à 3 personnes de s’y baigner. L’eau est proche des 40 degrés. Un deuxième grand renfoncement tapissé de graviers fins permet  à 6-7 personnes de s’immerger complètement. L’eau a une température comprise entre 35 et 40 degrés.

Canyon de Thuès et sa chute d'eau chaude
Chute d'eau chaude proche des 70 degrés

Puis, à quelques mètres de là, une deuxième source d’eau chaude souterraine alimente un grand bassin situé dans un abri sous roche (au fond de l’image).

Le deuxième bassin est alimenté en eau par le bassin situé dans l’abri sous roche et par une cascatelle (celle de gauche à peine visible) d’eau tiède (vraiment tiède). Ce qui a pour conséquence d’obtenir un bassin nettement moins chaud en l’espace d’un mètre. On passe de 42 degrés (bassin du fond) à 30-35 degrés (deuxième bassin).

Toutes ces sources alimentent (il y en aurait une quinzaine) le canyon dont la température de l’eau peut varier de 25 à 35 degrés tout le long du parcours.

Canyon Thuès et son bassin d'eau chaude situé dans l'abri sous roche
Source d'eau chaude souterraine alimentant le bassin dans l'abri sous roche (au fond)
Bassin le plus chaud au canyon de Thuès
Bassin le plus chaud situé dans un abri sous roche + cascatelle d'eau froide

Ce bassin plutôt profond est alimenté par une résurgence d’eau chaude souterraine et par une cascatelle d’eau froide.

L’eau thermale est donc diluée. Mais sans apport d’eau froide, il serait impossible de s’y baigner car le bassin d’eau refroidi frôle déjà les 42 degrés.

Au retour, je regagne à nouveau l’enceinte de l’ancien établissement thermal de Thuès-les-Bains. 

Je passe à côté d’une première fontaine d’eau chaude sulfurée (source Saint-Louis) puis d’une deuxième (sans nom) bordant la route. Cette source était probablement utilisée en boisson. Un robinet sort d’une plaque de béton. Après en avoir bu une gorgée (attention elle est brûlante), je préfère éviter d’en boire davantage car l’origine du captage est difficile à déterminer.

Fontaine d'eau sulfurée à Thuès-les-Bains
Fontaine d'eau sulfurée à Thuès-les-Bains

Autour de l’enceinte, il n’y a nul chemin de randonnée pour continuer. Un véritable cul-de-sac. J’en profite donc avant de quitter les lieux pour observer un énorme bâtiment blanc situé à gauche de la fontaine. Il comprenait autrefois l’ancien établissement thermal et des hôtels permettant de loger les curistes.

Ancien établissement thermal de Thuès-les-Bains
Ancien établissement thermal de Thuès-les-Bains

L’implantation de la gare du petit train jaune juste au-dessus du bâtiment n’a rien d’un hasard. 

L’engouement envers les sources d’eau chaude à cette époque était tel que l’arrivée du chemin en fer en 1910 a permis d’augmenter l’afflux de visiteurs vers ce lieu. 

Thuès était même devenu la « capitale des arthritiques ». Plus de trente sources thermales étaient recensées à Thuès-les-Bains en 1833.

3. Les Bains de Canaveilles

L’accès au chemin menant à cette source est situé juste après le tunnel en bord de route où quelques véhicules peuvent se garer sur le bas-côté de la RN116. Je suis pratiquement en face de la route D28 qui monte vers Canaveilles. Au bout d’une dizaine de minutes, le chemin m’amène jusqu’à la rivière de la Têt.

Les Bains de Canaveilles sont visibles de l’autre côté de la rivière. La source émerge en rive droite de la Têt à 60 degrés et se déverse dans des vasques aménagées de pierres et de galets. Le lieu est situé à la sortie du défilé (gorges) des Graus.

 

Les Bains de Canaveilles
Les bains de Canaveilles aménagés sur le lit de la rivière du Têt

Après avoir traversé la rivière, je constate que les eaux froides de la rivière peuvent s’infiltrer dans les vasques, brasser et mélanger l’eau chaude évitant ainsi de se brûler. Néanmoins, l’aménagement sommaire des vasques empêche toute grosse infiltration d’eau froide. Il faut dire qu’à cette période de l’année (novembre), le niveau de la Têt était plutôt bas.

Les bains de Canaveilles et ses bassins
Du bassin le plus chaud au moins chaud
Bains de Canaveilles et son émergence
Émergence de la source chaude sur la rive droite de la Têt s'écoulant dans le bassin

En remontant la rivière, à moins de 500 mètres, un ancien établissement thermal et hôtel nommé « Relais de l’Infante » ont été abandonnés dans le défilé très encaissé des Graus. L’endroit est maintenant strictement interdit par arrêté municipal.

Dans le coin, plusieurs sources (6 résurgences) émergent en rive gauche de la Têt, dont certaines directement dans le lit de la rivière. 

Ce lieu témoigne parfaitement de l’importance qu’avait autrefois la précieuse eau thermale. Les stations thermales devaient parfois s’accommoder du terrain tel qu’il existe autour de ce qui constitue leur raison d’être : le point d’émergence de la source.

Les stations thermales les plus mal loties étaient celles qui se développaient dans les vallons étroits. Et elles sont pléthores dans les Pyrénées.

Ici la gorge est particulièrement resserrée. On distingue à peine la rivière de la Têt à côté du bâtiment abandonné. Ce qui n’empêcha pas celui-ci d’être détruit par une inondation en 1876. Son emplacement à côté de la rivière lui causera de nombreuses difficultés avec la remontée des eaux et finira par fermer.

Relais de l'infante dans le défilé du Graus
Ancien établissement thermal implanté dans le défilé du Graus à côté de la rivière de la Têt

Lorsque ces eaux thermales jaillissent dans le lit d’une rivière, les Romains savaient déjà que le mélange diluerait ces vertus invisibles. Ce fut d’ailleurs le cas à Plombières-les-Bains où ils détournèrent carrément la rivière de l’émergence, creusèrent le fond de vallée et firent des travaux colossaux avant d’édifier leurs bâtiments. Mais était-ce mieux ainsi?

Personnellement, j’aime profiter pleinement des vertus thérapeutiques d’une source thermale lorsque je m’y baigne. Ici, le mélange avec des eaux non thermales fait que la température n’est pas parfaitement homogène dans le bassin. L’eau chaude plus légère que l’eau froide reste en surface, ce qui peut parfois s’avérer inconfortable. L’eau froide plus lourde tombe au fond et pousse à faire des mouvements pour brasser l’eau. 

Ce site (Bains de Canaveilles) exige aussi la traversée de la rivière (pierres glissantes et ça fait mal aux pieds) qui peut être dangereuse lorsque son niveau monte. Et elle l’est d’autant plus en amont (Relais de l’infante) où le rétrécissement de la Têt apporte des remous et plus de débit au niveau des autres résurgences (et la dilue d’autant plus).

Ce site peut satisfaire en revanche les amateurs de calme et de solitude. Il faut bien sur éviter de s’y rendre après un orage, la pluie…

4. Les sources d'eau chaude de Prats-Balaguer

Cette source d’eau chaude reste la plus spectaculaire de toutes et son accès ne présente aucun danger. En revanche, il faut compter une quinzaine de minutes de marche en partant du haut d’une colline.

Du village de Fontpédrouse, suivre la D28 en direction du hameau de Prats-Balaguer jusqu’à un virage (colline) où de nombreuses camionnettes sont stationnées.

 

Bassins d'eau chaude de Prats Balaguer avec cascade
Cascade d'eau chaude alimentant un bassin ayant une température comprise entre 37 et 40 degrés
Bassins à étages - Température du dernier bassin : 25 degrés
Bassins à étages - Température du dernier bassin : 25 degrés

L’eau thermale émerge à 69 degrés et se déverse de bassin en bassin. 9 bassins permettent ainsi de se détendre et de profiter de ses nombreuses vertus. C’est ma source sulfureuse préférée dans les Pyrénées-Orientales.

Pour en savoir plus sur cette source d’eau chaude, je vous invite à lire cet article : https://www.natureetsourcechaude.com/blog/les-sources-deau-chaude-sauvages-de-prats-balaguer/

Nature des eaux

Toutes ces eaux naturelles sont de nature sulfurée sodique. En s’approchant de la source, il est plus que probable de ressentir une légère odeur d’oeuf pourri. Mais rassurez-vous, c’est ce gaz (sulfure d’hydrogène) qui confère aux eaux des propriétés particulières. Les eaux sulfureuses sont reconnues pour soigner les rhumatismes, les maladies de peau, l’asthme… Ces eaux contiennent également du soufre sous forme de sulfate en petite quantité (souvent inférieur à 50 mg/l).

Elles sont peu minéralisées. Leurs ions sodium (sodique) sont prédominants et présents en quantité notable (autour de 50 mg/l. Par contre, elles sont appauvries (concentration souvent inférieures à 10 mg/l) en éléments chimiques tel que le calcium, magnésium et potassium. L’alcalinité est néanmoins la qualité dominante de ces eaux (pH compris entre 8,5 et 9).

Elles contiennent du fluor sous forme ionique en quantité notable (5 à 8 mg/l). C’est d’ailleurs l’une des caractéristiques du massif des Pyrénées où de nombreuses sources sont enrichies de cet élément. On retrouve aussi cette caractéristique dans les sources thermales du massif Mercantour-Argentera (Italie), notamment dans celle de Bagni di Vinadio (proche des 5 mg/l). Pour en connaitre davantage sur cette source d’eau chaude, je vous invite à lire cet article : Les sources d’eau chaude naturelles de Bagni di Vinadio.

Ces sources Pyrénéennes contiennent des oligo-éléments (en μg/l)  intéressants tel que le bore, baryum, lithium, zinc, silice et strontium.

Enfin, il est possible d’observer dans ces eaux, quel qu’en soit le degré de température, une substance mucilagineuse de couleur blanchâtre. Cette substance filamenteuse est produite par des bactéries et semble avoir de nombreuses propriétés (antibiotique, anti-inflammatoire, anti-allergique, cicatrisante…).

Bains de Canaveilles et barégine
Barégine dans les Bains de Canaveille

Dans les Pyrénées, cette substance azotée est appelée « barégine » et donne à toutes ces eaux sulfureuses naturelles leur onctuosité. 

Elle se dépose au fond des bassins en gelée incolore. Le baigneur attentif constatera une certaine ressemblance de cette masse limpide avec le corps vitré de l’oeil.

Ces filaments blancs visibles à plusieurs dizaine de mètres m’indiquent qu’une source d’eau chaude a probablement décidé de faire une vaporeuse apparition à cet endroit précis de la rivière de la Têt (mais l’accès est souvent dangereux).

Informations

Les sources d’eau chaude sont situées sur des sites sauvages qui peuvent présenter des risques pour s’y rendre, surtout dans les Pyrénées-Orientales. La prudence est de mise.

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