LES BAINS DE LA CAILLE
- Par Nature Source Chaude
- Publié le
- Mis à jour le 12 janvier 2025
Une source chaude (2 griffons), alcaline et sulfureuse située à Alonzier-la-Caille, près d’Annecy (Haute-Savoie), qu’on appelle aussi Fontaine de Cherpié, a une longue histoire derrière elle. Les eaux de cette source sont connues depuis des temps immémoriaux malgré leurs positions géographique très défavorables, au fond d’une gorge. Cela n’empêcha pas aux gens du secteur et aux promeneurs aventureux de profiter de leurs puissantes vertus curatives. Ainsi, dès le début du XIXe siècle, le site attira l’intérêt d’entrepreneurs, alors que la mode du thermalisme et des eaux minérales était encore naissante.
AU SOMMAIRE :
Du pont de la Caille aux anciens Bains
Le pont Charles-Albert, connu également sous le nom de pont de la Caille est l’une des curiosités de la Haute-Savoie. Il franchit le torrent des Usses, 147 mètres au-dessus, avec une portée de 192 mètres. Ce pont, qui date de 1839, est classé au titre des monuments historiques. Il est considéré comme le plus ancien pont suspendu à haubans du monde. Ce pont hors-norme va contribuer à faire connaitre les Bains jusqu’à Genève dans la presse locale.
La première impression est un saisissement profond. On est plongé dans l’admiration de ce magnifique ouvrage et la vue d’une vallée profondément encaissée.
Depuis Cruseilles, je traverse le pont dont j’apprécie un immense panorama, ayant à gauche des rochers taillés à pic. Au dessus et derrière ces rochers, une route, nommée chemin des bains permet de s’introduire sur une allée qui descend jusqu’à la gorge des Usses et qui se prolonge jusqu’aux bains. Cette allée est un chemin large au milieu des arbres, couvert par endroits de blocs de pierre entassés. Ces éboulements proviennent des roches latérales.
Sur cette route qui mène aux bains, la forêt désolée est jonchée d’arbres déracinés, brisés, jetés sur le sol pêle-mêle avec des débris de roches.
Pour atteindre la gorge, il faut se résigner à descendre au pas en suivant d’inévitables zigzags jusqu’à atteindre un pont en pierre. Les anciens Bains sont sur la droite.
La naissance d'une station thermale
Depuis longtemps on avait remarqué dans la gorge profonde, sur la rive gauche (versant de la Caille) du torrent des Usses, une source chaude (30°C), alcaline et sulfureuse. Ces eaux sont connus de longue date et les populations des siècles et des millénaires passés les fréquentaient. Mais au XIXe siècle, ces eaux reviennent à la mode après avoir été oubliées pendant de longues années.
En 1825, Michel Baussand, citoyen de Copponex, aidés de quelques voisins et de personnes d’Annecy font élever des baraques en bois sur l’une des deux sources. Ils permettent de mieux répondre au nombre croissant de baigneurs qui va en se multipliant chaque année.
En 1827, une première construction en maçonnerie légère et étroite s’élève sur le versant de Cruseilles et servit pendant 20 années.
En 1838, Jean-François Burdallet nous laisse deux iconographies des Bains de la Caille. Sur la première lithographie, on voit les baraquements; et sur la gauche et en haut le commencement de la culée droite du nouveau pont. Sur la deuxième lithographie, la vue est prise de la culée droite du pont. De là, on peut voir au fond le torrent des Usses et l’établissement des Bains.
En 1847, des ruines de bains romains ont été trouvées suite à des travaux de déblais réalisés au voisinage des sources. Cette même année, le chanoine Crozet-Mouchet devint acquéreur du sol et des sources.
Dès 1848, après de nombreuses études, les travaux de constructions de plusieurs bâtiments démarrent. Le chanoine Crozet-Mouchet obtint même la construction d’une route carrossable qui, du magnifique pont Charles-Albert, établi à 147 mètres au-dessus des Usses, descend en lacets jusqu’à l’établissement thermal. Celle-ci remplaça un mauvais sentier suspendu sur les abîmes de la vallée, qui n’était (réellement) accessible qu’aux gens bien portants.
L’ensemble fut inauguré en 1852 en présence de toutes les autorités de la ville d’Annecy et d’un grand nombre de spectateurs (plus de 1000 personnes) venant de divers points de la région et de Suisse (Genève, Lausanne…).
Une société s’organise à partir de plusieurs bâtiments parfaitement aménagés. Sur le site, on y trouve une chapelle, une écurie, des cuisines, des salles à manger pouvant accueillir jusqu’à 150 convives, des cabinets de bains et de douches, des réservoirs, des chambres à coucher pour les voyageurs, des dortoirs pour les domestiques, des salons, des salles de jeux, des cabinets pour les médecins… Au fil du temps, on agrandit les établissements et on les modernise chaque fois que c’est possible.
Concernant les établissement thermaux, un premier bâtiment, nommé le Château (à droite de la passerelle) renferme la source la plus sulfurée. Il comporte 12 cabines de bains au rez-de-chaussée et 8 chambres à l’étage. Cet établissement unique offre aux poitrinaires (atteint de tuberculose pulmonaire) l’avantage d’aspirer le gaz sulfureux (sulfure d’hydrogène) tout en dormant. Pour en savoir plus sur les bienfaits de ce gaz (odeur d’oeuf pourri), je vous invite à lire l’article : Nettoyer ses poumons avec des méthodes simples et naturelles.
Un deuxième établissement thermal, nommé Les Galeries (implanté à gauche de la passerelle avec les autres bâtiments), renferme 15 cabines de bains (baignoire et douche) au rez-de-chaussée, une galerie au 1er étage destinée à la promenade les jours de pluie et des dortoirs pour les domestiques au 2e étage. Ce bâtiment, maintenant décrépit, est le seul souvenir laissé sur le site.
Il serait impossible d’assigner une date à la découverte des eaux de la Caille ni de connaitre les plus hauts personnages de Rome qui (probablement) les fréquentèrent puisqu’il n’y a pas de témoignages gravés sur le marbre. Au Moyen-Âge les barbares ayant envahi la Gaule, les thermes factices créés par les Romains ont été saccagé de fonds en comble.
En revanche, sous l’escalier du bâtiment, d’anciennes inscriptions nous sont visibles. Celle de gauche rend honneur aux illustres personnages, M. Baussand et M. Crozet-Mouchet, qui ont permis aux Bains de la Caille de devenir en son temps une station thermale avec une certaine renommée.
On peut y lire « SANITATI PUBLICO ERIGEBRANT » (c’est du latin), « BAUSSAND MIKAEL ET CROSET-MOUCHET, CANONIQUE 1848 ».
Et sur l’inscription de droite dont une partie n’est plus lisible, on peut y lire « BENI SOIT DIEU QUI FIT JAILLIR LES SOURCES. À CÔTE DES MAUX, IL MIT LE REMEDE »
Pour que l’établissement thermal soit approprié au service, celui-ci doit être équipé en diverses installations. Ces dernières doivent s’appliquer à tout ce qui a trait à la conduite, à la distribution et à l’emploi thérapeutique des eaux. Mais comme tout a été retiré et qu’il n’y a plus aucun objet de curiosité qui puisse offrir le moindre intérêt, il n’y a plus grand chose à voir. On distingue néanmoins de chaque côté du bâtiment, au rez-de-chaussée, une grande piscine dont j’ignore leur date d’origine.
Les voyageurs venaient rechercher des ressources médicales réunies dans cet établissement (et le Château). On y trouvait 15 cabines de bains, des bains de vapeur, des douches écossaises perfectionnées, des appareils pour douches locales et des baignoires.
Les baignoires étaient reliées au captage de la source au moyen de conduites en plomb qui passaient au-dessus des Usses. On sait pourtant que les tuyaux de plomb altèrent la composition minérale de l’eau et lui font perdre plus de chaleur que des conduites plus naturelles (pierre, terre cuite…). Les propriétés thérapeutiques des eaux étaient donc différentes et amoindries. Pour en savoir plus sur la toxicité du plomb, j’en parle dans ces articles (Saint-Nectaire et Rennes-les-bains).
Une chaudière aménagée dans le corridor permettait de chauffer l’eau tiède (30°C à l’émergence). Des conduites de plomb dirigent ensuite l’eau dans les cabinets de bain. Ces eaux, chauffées artificiellement, avaient donc des propriétés thérapeutiques différentes et amoindries (en plus de celles introduites par les conduites en plomb). Mais comme l’eau était plus chaude, on profitait un peu plus des bienfaits de la chaleur de l’eau au détriment des principes thermaux amoindries. Je vous propose d’ailleurs de lire notre article : Les énormes bienfaits du bain chaud.
À l’étage, on trouve l’ancien local électrique. Avant l’arrivée de l’électricité , l’exploitation thermale demandait un chauffage des eaux qui était difficile et onéreux.
Le lieu fort bien bâti, entouré de promenades charmantes, ne doit pas procurer aux voyageurs un irrésistible ennui. L’homme des salons vient chercher dans ces hôtels une certaine liberté d’agir et un laisser-aller. Il doit trouver des moyens de société, de distractions ou de plaisirs. La présence de salons est indispensable pour que celui-ci puisse continuer à mener la vie de société qui est celle de l’aristocratie dans ses châteaux et de la bourgeoisie dans ses appartements. Et pour les malades, tout l’attrait du lieu est dans leur espoir fondé en l’efficacité des eaux.
La saison thermale aux Bains de la Caille commence habituellement à la fin mai et se termine selon les conditions météorologiques. Ainsi, les appartements meublées à grand frais se trouvent à peine occupés quelques mois de l’année. Parmi les nombreux visiteurs (autour des années 1870), on comptait seulement 120 baigneurs en moyenne (par saison thermale) faisant réellement une cure (il n’y a pas de sécurité sociale à l’époque) dont la durée du séjour pouvait être variable.
Vers le début du Second Empire (1852-1870), les salons perdront peu à peu de leur animation devant le succès des casinos qui drainent toutes les activités artistiques et mondaines des villes d’eaux. Il a fallu attendre les années 1880 (mentionné en 1884) pour que la petite station thermale de la Caille dispose d’un somptueux casino au style Art déco. Ce casino, qui apparait suite à la transformation du bâtiment administratif (voir iconographie), était un indispensable en pleine fièvre thermale (1875-1890).
Le conflit de 14-18 ruine les ambitions de la station thermale. Les hommes partent sur le front, les curistes s’évanouissent. Il y a un arrêt brutal de l’activité.
En 1923, la famille Mantilleri reprend l’affaire en main. Des travaux de modernisation sont menés rapidement par l’installation d’une centrale électrique. L’électricité modifie radicalement le problème de l’éclairage (🕐 mais perturbe aussi profondément l’horloge biologique et la santé). Vers 1910, la plupart des hôtels des grandes villes d’eaux ont l’électricité. 🕯️Auparavant, il fallait payer la bougie pour éclairer sa chambre. Les salons et les salles à manger étaient généralement éclairés par des lampes à pétrole et des becs à gaz. Enfin, les distractions deviennent plus nombreuses avec des concerts, des bals, des fêtes, des courts de tennis, de nouvelles piscines…
En 1960, la station thermale s’éteint définitivement.
Les sources sulfureuses
Les deux sources, qui sourdent sur le versant de la Caille, ne sont plus exploitées. À l’origine, le débit total des 2 sources, de l’ordre de 100 litres par minute, n’était déjà pas très élevée pour une exploitation thermale. Aujourd’hui, les sources ont un débit probablement réduit et la température de chacune n’est plus que de 21°C.
📜 Il y a généralement une règle dans les eaux thermales qui veut que leur température, leur minéralisation et leur débit restent constants, mais à une double condition, qu’elles ne soient pas perturbées par des tremblements de terre ou des éruptions volcaniques, ou la main de l’homme, par des captages plus ou moins bien exécutés. Aussi, des travaux d’aménagement en surface effectués autour de la source peuvent également perturber son débit.
Les sources sulfureuses de la Caille empruntent évidemment à leur position géographique un inconvénient réel pour que plus personne ne viennent leur témoigner de la reconnaissance.
Après avoir traversé la passerelle métallique un peu branlante, l’une des 2 sources se remarque en face par son écoulement.
Le bassin est de petite taille mais relativement profond, environ 1 mètre. L’odeur d’oeuf pourri est particulièrement forte. Son degré de sulfuration est très élevé d’où la construction du Château qui renfermait la source sulfureuse et un « établissement pneumatique » (définition de pneumatique : relatif à l’air et au gaz).
L’eau de la source est de nouveau baignée par la lumière et des micro-organismes photosynthétiques (qui se nourrissent de lumière) peuvent s’y épanouir librement. Ce plancton thermal, constitué de diverses communautés microbiennes, participe activement à la qualité de l’eau (voir notre article). Les propriétés thérapeutiques de cette source étaient donc différentes et amoindries lorsqu’elle était enfermée de toutes parts. À côté, on y trouve l’ancienne piscine extérieure.
À quelques dizaines de mètres de la source, face à l’établissement des Bains, on peut s’approcher d’un immense réservoir sans doute réservé à recevoir l’eau qui coule pendant la nuit et qui est nécessaire pour les besoins du service quotidien. Cette source a un degré de sulfuration (odeur d’oeuf pourri) moins élevé que la première. L’eau est à 21 degrés après avoir probablement perdu quelques degrés dans ce grand volume d’eau. Le stockage des eaux thermales peut également avoir une incidence sur leur valeur thérapeutique.
Son utilisation industrielle était donc d’alimenter l’établissement des Bains situé sur la rive opposée au moyen de tuyaux en plomb. Juste en dessous l’ouvrage se prolonge.
Le trop-plein du réservoir sort de ce mur et quitte l’abri pour se jeter plus bas dans le torrent des Usses.
Ces eaux (des 2 sources) contiennent une quantité importante de glairine (ou barégine). Cette substance de couleur blanchâtre est vraiment bien visible. La glairine est produite par des bactéries et semble avoir de nombreuses propriétés (antibiotique, anti-inflammatoire, anti-allergique, cicatrisante…). Ces bactéries ne représentent qu’une petite partie du plancton thermal (bactéries, archées, virus…).
Nature de l'eau et vertus thérapeutiques
La composition minérale de ces eaux est comparable à celle qu’on peut trouver dans quelques-unes des sources de Bagnères-de-Luchon, considérées comme les plus sulfurées des Pyrénées.
Elles ont en commun :
– une minéralisation totale très faible
– un pH alcalin autour de 9
– un caractère chimique sulfuré sodique marqué
– le magnésium est présent à l’état de traces
Ces eaux sont remarquables pour soigner les affections cutanées de toutes sortes, les rhumatismes chroniques, les maladies du larynx et de la poitrine, les scrofules et engorgements glandulaires…