Les Bains de la Caille
- Par Nature Source Chaude
- Publié le
- Mis à jour le 22 mai 2025
Une source chaude, surnommée « fontaine de Cherpié », située à Alonzier-la-Caille, près d’Annecy (Haute-Savoie), était déjà connue pour ses eaux alcalines et sulfureuses.
En effet, malgré sa position géographique très défavorable au fond d’une gorge, cette source est connue depuis des temps immémoriaux. Cette situation n’a pas empêché les habitants du secteur et les promeneurs aventureux de profiter de ses puissantes vertus curatives. Au début du XIX^e siècle, alors que la mode du thermalisme et des eaux minérales était encore naissante, la source a attiré l’attention d’entrepreneurs.
AU SOMMAIRE :
Du pont de la Caille aux anciens Bains
Le pont Charles-Albert, également connu sous le nom de pont de la Caille, est l’une des curiosités de la Haute-Savoie. Il franchit le torrent des Usses à une hauteur de 147 mètres et sur une portée de 192 mètres.
Construit en 1839, il est classé au titre des monuments historiques. Il est considéré comme le plus ancien pont suspendu à haubans du monde. Ce pont hors norme a contribué à faire connaître les Bains de la région jusqu’à Genève, dans la presse locale.
La première impression est un saisissement profond. C’est avec admiration que l’on contemple ce majestueux ouvrage, sans oublier le spectacle offert par la vallée profondément encaissée.
Depuis Cruseilles, je traverse le pont dont j’apprécie le panorama immense, avec à gauche des rochers taillés à pic. Au-dessus et derrière ces rochers, une route nommée « chemin des bains » permet d’accéder à une allée qui descend jusqu’à la gorge des Usses et qui mène aux bains.
Cette allée est un chemin large bordé d’arbres et parfois très caillouteux. À certains endroits, d’importants éboulements de roches provenant des parois rocheuses voisines perturbent le passage.
Sur cette route qui mène aux bains, la forêt désolée est jonchée d’arbres déracinés, brisés, jetés sur le sol pêle-mêle avec des débris de roches.
Pour atteindre la gorge, il faut descendre au pas en suivant d’inévitables zigzags jusqu’à un pont en pierre. Les anciens Bains se trouvent sur la droite.
La naissance d'une station thermale
Depuis longtemps, on avait remarqué une source chaude (30 °C), alcaline et sulfureuse, dans la gorge profonde, sur la rive gauche (versant de la Caille) du torrent des Usses. Ces eaux étaient connues de longue date et les populations des siècles et des millénaires passés les fréquentaient. Mais au XIX^e siècle, ces eaux redevinrent à la mode après avoir été oubliées pendant de longues années.
En 1825, Michel Baussand, un habitant de Copponex, fit construire des baraques en bois sur l’une des deux sources (griffons) avec l’aide de quelques voisins et d’habitants d’Annecy. Cela a permis de mieux répondre à un nombre croissant de baigneurs chaque année.
En 1827, une première construction en maçonnerie légère et étroite fut érigée sur le versant de Cruseilles et servit pendant 20 ans.
En 1838, Jean-François Burdallet nous laisse deux représentations des Bains de la Caille (voir les iconographies ci-dessous). La première montre les baraquements, et sur la gauche et en haut, on aperçoit le début de la culée droite du nouveau pont. La deuxième lithographie offre une vue prise de la culée droite de ce dernier. Depuis ce point, on peut voir, un peu plus loin, le torrent des Usses ainsi que l’établissement thermal.
En 1847, des ruines de bains romains ont été découvertes lors de travaux de déblaiement aux abords des sources. La même année, le chanoine Crozet-Mouchet est devenu propriétaire du sol et des sources.
Dès 1848, après de nombreuses études, les travaux de construction de plusieurs bâtiments débutèrent. Il obtint même la construction d’une route carrossable qui, du magnifique pont Charles-Albert établi à 147 mètres au-dessus des Usses, descend en lacets jusqu’à l’établissement thermal. Celle-ci remplaça un mauvais sentier suspendu au-dessus de l’abîme de la vallée, qui n’était réellement accessible qu’aux gens bien portants.
L’ensemble fut inauguré en 1852 en présence de toutes les autorités de la ville d’Annecy et d’un grand nombre de spectateurs (plus de 1 000 personnes) venant de divers horizons, notamment de Genève et de Lausanne.
Une société s’organise autour de plusieurs bâtiments parfaitement aménagés. On y trouve une chapelle, une écurie, des cuisines, des salles à manger pouvant accueillir jusqu’à 150 convives, des cabinets de bains et de douches, des réservoirs, des chambres à coucher pour les voyageurs, des dortoirs pour les domestiques, des salons, des salles de jeux, des cabinets pour les médecins, etc. Au fil du temps, les bâtiments ont été agrandis et modernisés chaque fois que c’était possible.
Concernant les établissements thermaux, le premier bâtiment, nommé le « Château » (à droite de la passerelle), renferme la source la plus sulfurée. Il compte 12 cabines de bains au rez-de-chaussée et 8 chambres à l’étage. Cet établissement unique offre aux poitrinaires (personnes atteintes de tuberculose pulmonaire) la possibilité d’aspirer le gaz sulfureux (sulfure d’hydrogène) tout en dormant. Pour en savoir plus sur les bienfaits de ce gaz au parfum d’œuf pourri, je vous invite à lire l’article « Nettoyer ses poumons avec des méthodes simples et naturelles ».
Un deuxième établissement thermal, nommé « Les Galeries » (implanté à gauche de la passerelle avec les autres bâtiments), renferme 15 cabines de bains (baignoire et douche) au rez-de-chaussée, une galerie au premier étage destinée à la promenade les jours de pluie et des dortoirs pour les domestiques au deuxième étage. Ce bâtiment, désormais décrépit, est le seul vestige laissé sur le site.
Il est impossible d’assigner une date à la découverte des sources de la Caille ni de connaître les personnages les plus éminents de Rome qui les ont fréquentées, car il n’existe aucun témoignage gravé sur le marbre. Au Moyen Âge, à l’époque où les Barbares avaient envahi la Gaule, les thermes factices créés par les Romains avaient été saccagés de fond en comble.
En revanche, d’anciennes inscriptions sont visibles sous l’escalier du bâtiment. Celle de gauche rend honneur aux illustres personnages M. Baussand et M. Crozet-Mouchet, qui ont permis aux Bains de la Caille de devenir une station thermale renommée à leur époque.
On peut y lire « SANITATI PUBLICO ERIGEBRANT » (c’est du latin), « BAUSSAND MIKAEL ET CROSET-MOUCHET, CANONIQUE 1848 ».
Sur l’inscription de droite dont une partie n’est plus lisible, on peut lire : « BENI SOIT DIEU QUI FIT JAILLIR LES SOURCES. À CÔTE DES MAUX, IL MIT LE REMEDE ».
Pour qu’un établissement thermal soit approprié au service, il doit être équipé de diverses installations. Ces dernières doivent s’appliquer à tout ce qui a trait à la conduite, à la distribution et à l’emploi thérapeutique des eaux.
Toutefois, comme les lieux ont été dépouillés de tout objet susceptible d’éveiller la curiosité des visiteurs, il n’y a plus grand-chose à voir. Il reste néanmoins, de chaque côté du bâtiment, un grand bassin désaffecté au rez-de-chaussée.
Les voyageurs, attirés par les dernières innovations en matière de soins (qui étaient rapidement adoptées dans l’ensemble du secteur des stations thermales), venaient y découvrir les nouvelles prestations proposées par l’établissement (et le château). On y trouvait 15 cabines de bains, des bains de vapeur, des douches écossaises perfectionnées, des appareils pour douches locales et des baignoires.
Les baignoires étaient reliées au captage de la source au moyen de conduites en plomb qui passaient au-dessus des Usses. Or, on sait que le plomb altère la qualité d’une eau thermale et lui fait perdre de la chaleur plus rapidement que si des conduites naturelles (pierre, terre cuite, etc.) étaient utilisées. Les propriétés thérapeutiques des eaux étaient donc différentes et amoindries. Retrouvez d’autres articles évoquant le plomb présent dans d’anciens thermes ( Saint-Nectaire et Rennes-les-Bains).
Une chaudière installée dans le corridor permettait de chauffer l’eau tiède dont la température de 30 °C à l’émérgence était trop basse pour un usage en bain. Celle-ci était ensuite dirigée dans les cabinets de bain par des conduites en plomb. Ces eaux, chauffées artificiellement, avaient donc des propriétés thérapeutiques différentes et amoindries (outre celles introduites par les conduites en plomb). Toutefois, comme l’eau était plus chaude, il était possible de profiter davantage des bienfaits de la chaleur. Je vous propose d’ailleurs de lire notre article intitulé « Les énormes bienfaits du bain chaud ».
L’ancien local électrique se trouve à l’étage. Avant l’arrivée de l’électricité, l’exploitation thermale des eaux nécessitait un procédé de chauffage onéreux et difficile.
Sur l’image, le lieu est fort bien bâti et entouré de promenades charmantes, de sorte que les voyageurs ne sombrent pas dans l’ennui. L’homme des salons y vient chercher une certaine liberté d’action et un laisser-aller. Il y trouve des moyens de sociabilité, de distraction ou de plaisir.
La présence de salons est indispensable pour que celui-ci puisse continuer à mener la vie de société qui est celle de l’aristocratie dans ses châteaux et de la bourgeoisie dans ses appartements. Et pour les malades, tout l’attrait du lieu est dans leur espoir fondé en l’efficacité des eaux.
La saison thermale aux Bains de la Caille commençait habituellement à la fin mai et se terminait selon les conditions météorologiques. Ainsi, les appartements, meublés avec grand soin, n’étaient occupés que quelques mois par an.
Parmi les nombreux visiteurs (autour des années 1870), on comptait seulement 120 baigneurs en moyenne par saison thermale, effectuant réellement une cure (non remboursée par la Sécurité sociale qui n’existait pas à l’époque) pour une durée de séjour variable.
Vers le début du Second Empire (1852-1870), les salons ont peu à peu perdu de leur animation au profit des casinos, qui attiraient alors toutes les activités artistiques et mondaines des villes d’eaux. Il a fallu attendre les années 1880 (mentionné en 1884) pour que la petite station thermale de La Caille dispose d’un somptueux casino de style Art déco. Ce casino, qui a vu le jour à la suite de la reconversion du bâtiment administratif (voir iconographie), était un lieu indispensable durant la période de « fièvre thermale » (1875-1890).
Le choc de la Première Guerre mondiale ruine les ambitions de la station thermale. Les hommes partent au front et les curistes se font rares. L’activité s’arrête alors brutalement.
En 1923, la famille Mantilleri reprend l’affaire en main. Des travaux de modernisation sont rapidement menés grâce à l’installation d’une centrale électrique. L’électricité révolutionne le problème de l’éclairage (mais perturbe aussi profondément l’horloge biologique 🕰️). Vers 1910, l’électricité est devenue la norme dans la plupart des hôtels situés dans les villes d’eaux. Auparavant, il fallait payer la bougie pour éclairer sa chambre. Les salons et les salles à manger étaient généralement éclairés par des lampes à pétrole et des becs à gaz. Enfin, de nouvelles distractions apparaissent : concerts, bals, fêtes, courts de tennis, nouvelles piscines, etc.
En 1960, l’activité de la station thermale prend définitivement fin.
Les sources sulfureuses
Les deux sources, qui sourdent sur le versant de la Caille, ne sont plus exploitées. À l’origine, le débit total de ces deux sources, de l’ordre de 100 litres par minute, n’était déjà pas très élevé pour une exploitation thermale. Aujourd’hui, chacune d’entre elles a probablement un débit réduit et leur température n’est plus que de 21 °C.
📜 Il existe généralement une règle dans les eaux thermales qui veut que leur température, leur minéralisation et leur débit restent constants, mais à une double condition : qu’elles ne soient pas perturbées par des tremblements de terre ou des éruptions volcaniques, ou par des captages plus ou moins bien exécutés.
Les sources sulfureuses de la Caille pâtissent évidemment de leur position géographique, un inconvénient qui contribue à ce que plus personne ne vienne leur témoigner de la reconnaissance.
Une fois la passerelle métallique un peu branlante traversée, l’une des deux sources se remarque immédiatement avec une eau qui s’écoule dans la forêt.
Bien que de petite taille, ce bassin est relativement profond, atteignant environ 1 mètre de profondeur. Il dégage une forte odeur d’œuf pourri. Son degré de sulfuration est très élevé, d’où la construction du « château » qui abritait la source sulfureuse et formait « l’établissement pneumatique » (terme qui désigne ce qui est relatif à l’air et au gaz).
Le château ayant été détruit, la source est de nouveau baignée de lumière et des micro-organismes photosynthétiques (qui se nourrissent de lumière) s’y épanouissent à présent sans entrave. Constitué de diverses communautés microbiennes, l’ensemble participe activement à la qualité de l’eau (voir notre article). Par conséquent, les propriétés thérapeutiques de cette source n’étaient pas les mêmes lorsqu’elle était enfermée de toutes parts.
Vous trouverez également à proximité l’ancienne piscine extérieure.
À quelques dizaines de mètres de la source, face à l’établissement des Bains, se trouve une citerne de 15 000 litres qui était sans doute réservée autrefois à stocker l’eau qui coulait la nuit et qui était nécessaire aux besoins quotidiens du service.
Cette source présente un degré de sulfuration (odeur d’œuf pourri) moins élevé que la première, bien qu’elle provienne du même gisement d’eau chaude. Son eau est à 21 degrés après avoir probablement perdu quelques degrés dans ce grand volume d’eau. Le stockage des eaux thermales pourrait également affecter leur valeur thérapeutique.
Sa fonction était donc d’alimenter l’établissement des Bains, situé sur la rive opposée, à l’aide de tuyaux en plomb. Juste en dessous, l’ouvrage se prolonge.
Le trop-plein de la citerne s’échappe par ce mur et finit sa course dans le torrent des Usses situé à proximité.
Ces deux sources contiennent une quantité importante de glairine. Cette substance de couleur blanchâtre est clairement visible.
Produite par des bactéries, la glairine possède de nombreuses propriétés (antibiotiques, anti-inflammatoires, anti-allergiques, cicatrisantes, etc.). Ces bactéries ne représentent toutefois qu’une petite partie des micro-organismes présents dans la source (bactéries, archées, virus, etc.).
Nature de l'eau et vertus thérapeutiques
Ces eaux ont une composition minérale comparable à celle de certaines des sources de Bagnères-de-Luchon, qui sont considérées comme les plus sulfurées des Pyrénées.
Elles ont en commun :
– une minéralisation totale très faible ;
– un pH alcalin avoisinant 9 ;
– un caractère chimique sulfuré sodique marqué ;
– le magnésium est présent à l’état de traces.